Une phrase anodine, mais pas sans conséquence
Il y a quelque temps, une amie m’a dit une phrase qui m’est restée dans le cœur :
« Moi, je préfère ne pas remuer la poussière. Je la laisse bien tranquille sous le paillasson. »
Elle parlait de son passé, bien sûr.
De ses blessures d’enfance, à peine évoquées, vite recouvertes.
Et je l’ai écoutée, avec tout l’amour que j’ai pour elle.
Mais je t’avoue que je ne peux pas être d’accord.
Pas parce que je détiens une vérité supérieure.
Mais parce que je vois, à travers mon chemin, ce que ça coûte de vouloir enterrer la douleur sans jamais lui laisser une chance d’être entendue.
Voilà ce que j’aimerais lui dire, quand elle sera prête à m’écouter.
Et peut-être que ces mots résonneront aussi pour toi.
Ce qu’on ne veut pas voir continue d’agir
Tu sais, il y a une illusion tenace dans notre monde : croire que regarder nos blessures, c’est se faire du mal.
Alors on détourne les yeux.
On se dit que ce n’est pas si grave.
Qu’on a « tourné la page », qu’on est « passé à autre chose ».
Parce qu’on nous a appris à être fort. À encaisser. À faire comme si.
Mais ce qu’on ne veut pas voir agit malgré nous.
Ce qu’on refuse de sentir continue de peser.
Et ce qu’on n’a jamais osé reconnaître façonne notre vie, nos choix, nos relations… dans l’ombre.
Bien sûr, chacun a son propre rythme.
Et pour certaines blessures profondes ou complexes, notamment les traumatismes sévères, un accompagnement professionnel peut être indispensable.
Ce que je partage ici ne prétend pas remplacer un suivi thérapeutique.
C’est une invitation à ouvrir un espace intérieur, pour celles et ceux qui sentent que le moment est venu de regarder autrement.
Si tu lis ces lignes, ce n’est peut-être pas un hasard.
Peut-être qu’il y a, sous ton paillasson, une poussière qui attend qu’on la regarde enfin.
Pas pour remuer le passé dans tous les sens. Pas pour accuser.
Mais pour offrir à ton histoire ce qu’elle n’a peut-être jamais reçu : de la conscience, de l’amour, et un vrai espace de guérison.
Pourquoi fuir ses blessures ne les guérit pas
Tu peux t’efforcer d’oublier.
Tu peux remplir ta vie, ton agenda, tes pensées, ton corps de mille choses.
Tu peux laisser la télé allumée en fond, ou la radio du matin au soir.
Et tout cela, sans même t’en rendre compte, peut devenir ta manière de fuir ce qui demande à être vu.
Ne sois pas dupe, c’est juste pour ne pas entendre ce qui parle en toi quand tout devient silencieux.
Tant que la blessure est là, elle travaille dans l’ombre.
Le refoulement n’est pas une guérison. C’est une mise en veille. Et ce qui est mis en veille continue de consommer de l’énergie. Ton énergie…
Tu le sens peut-être sans pouvoir le nommer : un fond de tristesse, une colère qui revient sans raison, une fatigue étrange, des insomnies, ou ce sommeil agité qui ne repose pas vraiment.
Des situations qui se répètent comme un mauvais rêve.
Tu n’as rien fait de mal.
Tu as juste fait ce que beaucoup font : tu as survécu. Tu t’es protégée.
Et c’était nécessaire, à un moment.
Mais ce qui te protégeait hier peut te coincer aujourd’hui.
Fuir tes blessures, c’est comme fuir un enfant blessé qui t’appelle dans une pièce à côté.
Tu peux monter le son de la musique, t’occuper, fermer la porte.
Mais il continue de pleurer.
Et il ne veut qu’une chose : que tu viennes enfin l’écouter.
Pourquoi c’est si difficile de regarder sa souffrance
Tu pourrais te dire : « Si c’est aussi important, pourquoi je n’y arrive pas ? »
Parce que ce n’est pas facile. Et tu n’es pas seule à ressentir ça.
Il y a au moins trois raisons profondes pour lesquelles tant de personnes évitent de soulever le tapis.
1. La peur de s’effondrer
Tu crains peut-être que si tu ouvres cette porte, tout va sortir d’un coup.
Que tu vas perdre le contrôle.
Mais en réalité, ce n’est pas la douleur qui te menace. C’est la pression que tu mets depuis des années pour la contenir.
2. La peur d’accuser ou de trahir
Tu as peut-être appris à te taire pour protéger ceux que tu aimes.
Dire « j’ai souffert », ce serait alors comme pointer du doigt.
Mais non. Guérir ne veut pas dire accuser.
C’est simplement remettre chaque chose à sa juste place.
3. La peur de découvrir qu’on s’est menti
C’est parfois la plus difficile à regarder.
Tu t’es peut-être construit une vie sur l’idée que tout allait bien, que ce n’était pas si grave, que tu étais forte.
Et si tu ouvres les yeux, que vas-tu devoir remettre en question ?
Tu minimises souvent ce que tu as ressenti.
Tu dis que ce n’était pas si grave.
Que tu exagères peut-être.
Mais à force de douter de ta propre douleur, tu finis par douter de toi.
Et je me demande si, au fond, tu n’as pas peur de découvrir quelque chose de trop grand, de trop douloureux, de trop flou.
Alors tu refermes. Tu évites. Tu tiens bon.
Mais à quel prix ?
Et si tu n’es pas prête à regarder maintenant, c’est ok.
Il ne s’agit pas d’une obligation, ni d’un devoir.
Regarder en soi, ce n’est pas une performance. C’est un choix intime, qui demande de la sécurité intérieure.
Et parfois, la première étape, c’est simplement de reconnaître qu’un jour peut-être… tu auras envie d’y revenir.
Reconnaître ses souffrances d’enfance n’est pas accuser ses parents
Ce que je remarque souvent, et que je ressens aussi dans la façon dont tu abordes ton histoire,
c’est une forme de retenue.
Comme s’il était dangereux d’oser dire : « j’ai souffert ».
Je l’ai entendu des dizaines de fois :
« Je n’ai pas à me plaindre, mes parents ont fait ce qu’ils ont pu. »
Et c’est sans doute vrai.
Mais reconnaître une souffrance, ce n’est pas accuser.
Ce n’est pas remettre en question l’amour ou l’intention.
C’est simplement honorer la réalité de ce qui a été vécu et ressenti.
Tu peux avoir été nourrie, logée, éduquée, même aimée.
Et pourtant, avoir manqué d’amour, de présence, de douceur, et de stabilité émotionnelle.
Ce n’est pas incompatible.
Et si tu ne regardes pas ça en face, tu risques de continuer à porter un fardeau qui ne t’appartient pas entièrement, ou à répéter une histoire que tu n’as même pas choisie.
Tu ne fais de mal à personne en disant : « Pour moi, ça a été difficile. »
Tu ne trahis personne.
Tu choisis simplement d’être fidèle à ce que tu ressens.
Ce que ça change quand tu acceptes de regarder enfin
Quand tu arrêtes de fuir, ce n’est pas un effondrement.
C’est un réajustement.
Quelque chose se remet à sa place, doucement.
Tu n’as plus besoin de dépenser toute ton énergie à tenir à distance ce qui demande simplement à être vu.
Regarder ne veut pas dire revivre.
Regarder, c’est créer de l’espace.
C’est t’asseoir un instant à côté de ta propre histoire, avec la maturité de l’adulte que tu es aujourd’hui,
et dire : « Je suis là. Je te vois. »
Ce geste intérieur change tout.
Il ouvre la voie à un apaisement que rien d’extérieur ne peut t’offrir.
Tu ne dépends plus d’une réparation venue d’ailleurs.
Tu reviens vers toi.
Tu cesses d’attendre que quelqu’un valide ta douleur pour lui donner le droit d’exister.
Tu n’as plus besoin de justification.
Tu n’as plus besoin d’explication.
Tu reconnais ce qui a été, et tu fais le choix de ne plus en être prisonnière.
Et c’est là que la transformation commence.
Rituel : Regarder en face, sans peur, sans jugement

Voici un rituel que tu peux faire chez toi, seul, dans un moment de calme.
Tu n’as besoin de rien, sauf de toi-même, d’un peu de silence, et d’une grande honnêteté.
1. Prépare un espace calme
Éteins ton téléphone. Assieds-toi. Respire profondément.
Tu peux allumer une bougie si tu le souhaites. Pas pour faire joli.
Juste pour symboliser ta décision de regarder ce qui était resté dans l’ombre.
2. Ferme les yeux et pense à l’enfant que tu as été
Laisse venir une image. Peut-être une scène précise. Peut-être juste une sensation.
N’analyse pas. Accueille.
3. Pose-toi cette question, doucement :
3. Pose-toi cette question, doucement :
« Qu’est-ce que je n’ai jamais osé reconnaître, par peur de faire de la peine ou de déranger ? »
Laisse les mots ou les images venir. Même si c’est confus. Même si ça secoue un peu.
4. Et puis, dis ceci à voix haute ou en toi :
« Je vois ce que tu as ressenti. Je t’écoute maintenant. Je ne te laisserai plus seul·e. »
Tu n’as pas besoin d’y croire parfaitement. Tu as juste besoin d’être là. Présente à toi-même.
5. Quand c’est le moment, remercie
Tu peux remercier ton histoire. L’enfant que tu as été. Ton courage.
Et refermer doucement l’espace du rituel.
Ce rituel peut être refait plusieurs fois.
Tu n’as pas besoin d’y rester longtemps.
Mais à chaque fois que tu t’y offres sincèrement, une part de toi se libère un peu plus.
Pour aller plus loin
Tu n’as rien à prouver. Tu n’as pas à te justifier.
Mais tu as le droit de regarder ton passé en face.
Pas pour t’y enfermer. Pour t’en libérer.
Et si un jour tu décides de soulever le tapis, sache que tu peux être accompagnée.
Voici quelques pistes pour poursuivre ton chemin en toute sécurité :
- Un accompagnement thérapeutique : certaines blessures ne peuvent pas être traversées seul. Un psychologue, un thérapeute spécialisé dans les traumas ou en constellations familiales peut t’aider à avancer avec douceur.
- Des lectures éclairantes, comme :
- « Le corps n’oublie rien » de Bessel van der Kolk
- « S’attacher pour grandir » de Dan Siegel et Tina Payne Bryson
- « Guérir de son passé » de Saverio Tomasella
- Adopter des rituels chamaniques simples ou avoir des pratiques chamaniques encadrées, si tu ressens l’appel d’une approche plus symbolique et collective.
Tu n’as pas à tout faire tout de suite.
Un pas à la fois suffit.Tu n’as rien à prouver. Tu n’as pas à te justifier.
Mais tu as le droit de regarder ton passé en face.
Pas pour t’y enfermer. Pour t’en libérer.
Et si un jour tu décides de soulever le tapis…
Sache que tu ne le fais pas contre tes parents,
ni contre toi-même,
mais pour toi, pour la vie qui attend de circuler en toi librement.
Aho ,
Véronique
Ce texte m’a touchée.
Il remet de la douceur là où on a trop appris à se taire ou à tenir bon.
Merci pour ces mots. Ils font du bien, tout simplement.
Merci pour ton retour sincère Stéphanie ! Moi aussi on m’a appris à être « forte » et à tenir bon. Je sais aujourd’hui que c’était aussi une façon de m’aimer et de me protéger.
Comme c’est bien dit et bien expliqué, dans la bienveillance et sensibilité. On comprend combien « soulever le tapis » est un acte de courage et de libération et qu’il ne faut surtout pas s’en priver. Merci Véronique pour ce texte si touchant.
Merci à toi Laura pour ces mots qui me touchent profondément. Oui, soulever le tapis demande du courage, mais c’est souvent là que commence la vraie tendresse envers soi-même. Je suis heureuse que cet article t’ait parlé 🙏
Prendre conscience de ses blessures est une étapes cruciale dans la connaissance de soi. Comme tu l’expliques bien, ce que l’on choisit de ne pas voir nous dirige inconsciemment. Et regarder avec amour est la première étape de la libération. S’encadrer de douceur et de soutien permet de faire ce chemin avec plus de sérénité. Un parcours d’amour de soi et de son histoire quelle qu’elle soit dans lequel j’accompagne aussi ceux qui en ont besoin.
Merci pour ce bel article 🙏
Merci beaucoup pour ton message Flore. J’aime profondément ce que tu écris : « un parcours d’amour de soi et de son histoire quelle qu’elle soit » — c’est exactement ça. Et je trouve essentiel, comme tu le dis, d’insister sur la douceur. On n’a pas besoin d’enfoncer les portes de nos blessures pour avancer. Parfois, juste entrouvrir avec délicatesse suffit à laisser entrer un peu de lumière. Merci pour ta présence et ton accompagnement dans ce grand mouvement de retour à soi 🙏
Cet article me rappelle une personne qui s’était essayé au Qi Qong: elle avait tellement senti en elle « tout ce qui n’allait pas » durant la séance qu’elle avait pris la décision de ne pas s’engager. J’avais été surprise de voir combien on peut refuser de se connaître soi-même… Cela dit, chaque chose vient en son temps et la vie sait nous présenter les situations favorables à notre évolution! Merci pour cet article très agréable à lire et à relire.
Merci pour ton partage Sylvie 🙏 Oui, c’est fou comme parfois… sentir suffit à faire fuir. Comme si toucher une part de soi était déjà trop. Mais tu as raison : la vie est patiente. Elle nous offre toujours une autre porte, une autre occasion, quand on est prêt. Et parfois, un simple mot, un texte, une sensation peut devenir ce point de bascule. Merci pour ta lecture attentive et pour ta sensibilité
Merci pour cette lecture si juste, si humaine. Ce texte m’a profondément touchée par sa tendresse, sa lucidité, et l’espace qu’il ouvre pour oser regarder là où ça fait encore un peu mal. Ta métaphore du paillasson est si parlante… Et ce rappel que regarder ses blessures n’est pas accuser, mais honorer son vécu, c’est libérateur. Merci de poser ces mots avec tant de délicatesse.
Merci à toi Sabine pour ta lecture si sensible et profonde. Ton retour me touche beaucoup. Oui, c’est tout l’enjeu : ouvrir un espace où l’on peut regarder ce qui fait mal, sans se juger, sans accuser, juste pour se connaître un peu plus. Je suis heureuse que la métaphore du paillasson ait résonné pour toi… et que mes mots aient pu poser un peu de douceur sur ces zones d’ombre. 🙏
Merci pour l’univers que tu créés et la place que tu laisses à l’acceptation de sa souffrance d’enfance…
Merci à toi Muriel pour ces mots. Accueillir nos souffrances d’enfance, c’est déjà un pas immense vers la réconciliation intérieure. Je suis touchée que cet univers t’ait parlé. 🙏